DR. DENIS MUKWEGE: «C’EST UNE URGENCE D’AVOIR DES INSTITUTIONS LÉGALES EN RDC»

Parce qu’il répare les femmes violées dans son hôpital de Bukavu, le docteur Mukwege est l’une des personnalités congolaises les plus respectées dans le monde. Prix Sakharov 2014, le docteur est aussi un citoyen engagé. Dimanche dernier à Paris, il a animé une conférence intitulée : « Pour une transition sincère et authentique au Congo ». Jusqu’où est-il prêt à s’engager ? M. Mukwege répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Vous êtes gynécologue, spécialisé dans la chirurgie réparatrice des femmes violées, mais aujourd’hui vous êtes aussi un homme engagé qui appelle les Congolais à un sursaut. Pourquoi cet engagement ?

Docteur Denis Mukwege : J’ai travaillé pendant quinze ans au bloc opératoire et malheureusement, je me suis trouvé en train d’opérer des femmes qui ont été violées, mais avec une extrême violence, donc leur appareil génital était souvent endommagé. J’ai commencé à soigner d’abord les victimes, leurs enfants elles-mêmes étaient violées, et quand je suis arrivé au niveau de soigner les petits enfants, j’avais compris que c’est un cercle qui n’a pas de fin et que la solution n’était pas au bloc opératoire. Donc il fallait également s’occuper des causes.

Et vous allez plus loin. Vous dites : « Derrière ces viols de guerre, derrière cette arme de destruction massive, il y a de l’argent sale ».

Absolument. Puisque là où il y avait les minerais, c’est là où il y avait les groupes armés du Congo.

Parce que vous avez ce courage de parler vous vous exposez. En 2012, vous avez été attaqué à votre domicile de Bukavu. Qu’en est-il aujourd’hui ?

En 2012, effectivement j’ai été attaqué. Malheureusement, cette attaque s’est passée le soir du 25 octobre 2012, mes enfants étaient pris en otage et les gens qui sont venus chez moi m’attendaient calmement au salon après avoir maîtrisé tout le monde. Et quand je suis arrivé, mon ami Joseph, qui a voulu me protéger quand ces messieurs voulaient tirer sur moi, malheureusement c’est lui qui a pris la balle. Nous sommes tous les deux tombés et ils sont partis. Il a perdu sa vie en essayant de me sauver. Et aujourd’hui, pour ma sécurité, je vis à l’hôpital avec les malades.

Avec votre famille vous êtes à l’intérieur de l’hôpital ?

Exactement.

Avec une protection militaire ?

Ma protection est assurée par les forces des Nations unies, la police égyptienne.

Et quand vous sortez de l’hôpital qu’est-ce qui se passe ? Vous avez une escorte ?

Depuis 2013, je ne vais même pas voir ma mère. Puisque je ne peux pas avoir cette police tout le temps, je préfère rester à l’hôpital. Sauf quand je sors, bien sûr, jusqu’à l’aéroport.

En avril dernier, un autre gynécologue congolais, le docteur Gildo Byamungu, a été assassiné à son domicile d’Uvira – toujours au sud Kivu – Où en est l’enquête aujourd’hui ? Savez-vous qui l’a tué ?

Comme celui qui a assassiné Joseph dans ma maison, aujourd’hui, nous ne savons rien de ce qui s’est passé. Et c’est ça qui fait mal puisque des gens sont assassinés et il n’y a pas d’enquête, il n’y a pas de justice. Et ça c’est une façon d’encourager en fait cette violence.

Certains on dit : l’assassinat du docteur Gildo c’est un avertissement à l’attention du docteur Mukwege.

Le docteur Gildo c’était un de mes élèves, un jeune homme engagé qui aimait ses malades, aimait son métier. En le tuant, effectivement, ça a été un coup très, très dur pour moi. Je ne peux pas dire que j’ai été visé, mais quelque part mon travail a été visé.

Le prix Sakharov 2014, les nombreuses conférences où vous êtes invité dans le monde, est-ce que tout cela vous protège vis-à-vis de ceux qui vous veulent du mal ?

C’est une question difficile puisque je pense qu’à chaque fois que j’ai eu un prix, après il s’en suit toujours des tracasseries. Mais ce qui est vrai, je crois aussi que le prix Sakharov a ouvert certaines portes qui nous permettent de continuer notre travail grâce à la visibilité que le prix Sakharov nous a donnée.

Dans votre livre Plaidoyer pour la vie paru l’an dernier, vous écrivez : « Je sais que je suis plus que jamais exposé. Je ne quitte plus l’hôpital de Panzi. Combien de temps devrons-nous vivre ainsi comme dans une prison ? Mon seul espoir ce sont les prochaines élections présidentielles et parlementaires ».

Ces élections n’ont pas eu lieu, malheureusement. Et donc notre situation de prisonnier à ciel ouvert continue.

Il y a eu un accord pouvoir-opposition, le 31 décembre 2016, pour que ces élections se tiennent d’ici le 31 décembre 2017. Comment analysez-vous la situation aujourd’hui ?

Je ne peux pas comprendre comment – et au niveau de la communauté nationale et la communauté internationale – nous pouvons tous fermer les yeux et ne pas voir que c’est en 2006 que le problème a commencé, quand les élections locales n’ont pas eu lieu. C’est un processus qui a commencé dès le vote par référendum de la Constitution, de bloquer la Constitution.

Et c’est pour ça que vous dites à l’opposition : ressaisissez-vous. C’est ça ?

Absolument. Je pense que quand vous êtes devant quelqu’un qui ne tient pas sa parole vous ne pouvez pas continuer à donner un crédit. Vous devez à un certain moment dire : « Vous n’avez pas tenu votre parole et maintenant c’est assez ». Et donc pour moi la seule façon de le faire c’est exiger le retour à l’ordre constitutionnel.

Donc en fait l’accord du 31 décembre dernier vous n’y avez jamais cru ?

Non, pas du tout. Et je crois que là les faits me donnent raison. Je vous dis, c’est un processus qui date de 2006. L’intention derrière, c’est conserver le pouvoir sans l’avis du souverain primaire.

Alors quelle est la solution aujourd’hui ? Puisque ça y est, on est parti dans le glissement depuis le 19 décembre 2016.

Je crois que le peuple congolais doit se mettre debout pour que les élections soient organisées et que finalement, on puisse avoir des institutions légales.

Mais l’année dernière, le peuple s’est mobilisé avec des manifestations de rue et le prix humain a été terrible. Plusieurs dizaines de morts.

Effectivement. Mais je crois que c’est là où la communauté internationale peut jouer un rôle puisque si la Monusco est là, il est très, très important que nous puissions voir le rôle de la communauté internationale, pour protéger la population.

Le 1er septembre dernier, vous avez été reçu à Paris à l’Elysée par le président Macron. Mais est-ce que la France fait assez pour vos compatriotes ?

La France peut faire plus et les Congolais, comme le premier pays francophone, nous attendons beaucoup des autres pays francophones du continent africain et d’ailleurs. Et la France en tête. Et aujourd’hui cette prévention peut se faire en exigeant que ces élections puissent se tenir. Ils l’ont ait en Gambie où ils ont exigé que la Constitution soit respectée. Et je me pose la question. Pourquoi cela ne peut pas se faire en République démocratique du Congo ? Quand on sait les risques que toute la région court, c’est le moment d’agir.

La réponse des autorités de Kinshasa, c’est que le Congo est indépendant et que toute pression est une atteinte à sa souveraineté nationale.

Je pense que lorsque vous tirez sur votre population qui n’est pas armée, ce n’est pas la souveraineté nationale. Je crois que lorsqu’on prend ce prétexte de souveraineté pour interdire de protéger une population en détresse, j’opposerais plutôt le droit d’ingérence humanitaire.

Vous parlez de plus en plus comme un homme politique. Est-ce que vous êtes candidat à la prochaine élection présidentielle ?

Je ne suis pas candidat.

Vous avez 62 ans. Peut-être que vous avez déjà fait beaucoup pour la médecine, pour les femmes… Est-ce que vous n’êtes pas tenté, peut-être, de vous lancer dans une nouvelle carrière qui serait politique cette fois-ci ?

Je ne suis pas politicien. Je crois qu’il faut très, très bien faire la différence entre un citoyen engagé qui fait le rôle de sentinelle par rapport aux politiciens.

Mais vous savez bien qu’il y a beaucoup de Congolais qui sont déçus par leurs hommes politiques, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, et qui demandent à des personnalités de la société civile de s’investir et qui vous demandent de vous engager politiquement, de présider – qui sait – une transition.  Qu’est-ce que vous leur répondez ?

Mais on ne fait pas une transition lorsqu’il n’y a pas un vide. Il faut d’abord qu’on remette l’ordre constitutionnel et je pense que commencer à parler d’une transition alors qu’il n’y a pas de vide, nous risquons de nous complaire dans une utopie qui ne viendra pas. Pour moi, il est très, très important que les autorités en place comprennent que toutes les institutions sont illégales et que c’est une urgence d’avoir des institutions qui émanent du souverain primaire.

Donc vous n’excluez pas un jour de vous engager politiquement ?

Je vous répète : je ne suis pas politicien.

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