ALLOCUTION DU DR DENIS MUKWEGE SUR LES VIOLENCES SEXUELLES EN TEMPS DE CONFLIT AU CONSEIL DE SECURITE DES NATIONS UNIES – 23 avril 2019

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ALLOCUTION DU DR DENIS MUKWEGE SUR LES VIOLENCES SEXUELLES EN TEMPS DE CONFLIT AU CONSEIL DE SECURITE DES NATIONS UNIES – 23 avril 2019

http://webtv.un.org/meetings-events/security-council/watch/denis-mukwege-nobel-peace-prize-laureate-on-sexual-violence-in-conflict-security-council-8514th-meeting/6029070866001/?term=?lanfrench&sort=date

 

Mr le Président du Conseil,

Mr le Secrétaire Général,

Me la Représentante spéciale du Secrétaire Général pour les violences sexuelles en période de conflits,

Mesdames et Messieurs les Représentants des Etats,

Mesdames, Messieurs,

Je tiens à remercier la Mission allemande aux Nations Unies pour m’inviter à prendre la parole à l’occasion de ce débat ouvert sur les violences sexuelles en période de conflit.

Permettez-moi en premier lieu de partager avec vous un souvenir gravé dans ma mémoire à l’issue de ma première intervention devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) il y a plus de 10 ans. 

Un diplomate d’un pays membre permanent avait demandé : « Pourquoi parle-t-on de ce sujet ici ? » 

Ce souvenir nous rappelle que l’on vient de loin quand on aborde ce sujet qui est censé affecter notre conscience et notre humanité commune et qui est intimement lié à la paix et la sécurité internationales.

Mr le Secrétaire Général,

Je salue votre volonté de continuer à placer l’agenda Femmes, Paix et Sécurité au centre de l’attention de la communauté internationale et sur la table du Conseil de Sécurité.

Depuis l’adoption des résolutions 1325 et 1820, le lien entre violences sexuelles et la paix et la sécurité internationales est clairement établi, et le viol comme stratégie de guerre est reconnu à sa juste valeur comme un crime de guerre, un crime contre l’humanité, voire même un acte constitutif du crime de génocide.

Il s’agit d’une avancée remarquable car pour traiter un problème, il faut d’abord qu’il soit reconnu.

Aujourd’hui, grâce à cette évolution du droit, plus aucun responsable politique ou militaire ne peut ignorer ou négliger qu’il est contraire au droit international d’utiliser le viol et les violences sexuelles comme arme de domination et de terreur.

Nous soutenons toutes les initiatives visant à l’établissement d’une ligne rouge contre ces actes barbares dont nous sommes les témoins de première ligne depuis trop longtemps, et aspirons à voir les Nations Unies et les Etats adopter des sanctions à l’encontre des auteurs et des instigateurs de la violence sexuelle dans les conflits armés. 

Nous pensons que les organisations locales de la société civile doivent être associées pleinement à des mécanismes d’alerte précoce et de réaction rapide et à la collecte de données des crimes à caractère sexuel qui seraient canalisées vers des Observatoires de la violence sexuelle mis en place aux niveaux local, national, régional et global, pour les relayer ensuite au plus vite vers les mécanismes de saisine et d’examen du Comité de sanctions des Nations Unies.

Mesdames, Messieurs,

A Panzi, nous avons développé un modèle de prise en charge holistique incluant l’assistance médicale, psychologique, socio-économique et légale. Nous profitons de cette tribune pour rappeler que cette prise en charge des victimes doit être considérée comme un droit humain à la réhabilitation, conformément à la résolution 2106.

Notre expérience nous démontre que le processus de guérison des survivantes n’est complet que quand la justice est rendue.

Telle est la raison pour laquelle nous soutenons pleinement les recommandations du 10e rapport du Secrétaire Général et le travail de sa Représentante spéciale sur les violences sexuelles en période de conflits.

De même, nous saluons l’initiative de la diplomatie allemande de présenter une nouvelle résolution, car elle met une emphase particulière sur le besoin de reconnaissance du statut des enfants nés du viol, d’une approche globale centrée sur les survivantes, mais aussi sur la nécessité d’appliquer des sanctions, de rendre la justice et de fournir des réparations.

Nous encourageons tous les efforts de lutte contre l’impunité, tant au niveau national qu’international, ainsi que le recours à des tribunaux spéciaux que nous appelons de nos vœux pour la RD Congo ainsi que tous les pays dans une situation analogue.

Nous continuerons également notre plaidoyer pour la mise en œuvre des outils de la justice transitionnelle : dans les pays qui aspirent à sortir de la violence et de la dictature, il faut assainir les institutions et les forces de sécurité, et les victimes ont non seulement droit à des soins de qualités mais aussi à la vérité et à la justice.

Les réparations parachèvent le processus de guérison et de réintégration des victimes mais permettent aussi à la société de reconnaître le mal infligé, de lutter contre la stigmatisation, les discriminations et les inégalités de genre, et de prévenir la répétition des crimes de violence sexuelle.

Ainsi, nous exprimons le souhait de voir la communauté internationale s’engager dans l’établissement d’un Fonds global, en vue de répondre aux besoins des survivantes et combler les lacunes actuelles de la justice tant domestique qu’internationale. Ce mécanisme consistera en un fond qui octroiera des programmes et des projets de réparation dans les pays qui nient leurs responsabilités ou qui ont besoin de soutien pour les assumer.

Il n’y aura pas de paix durable sans justice et tant que les femmes victimes ne seront pas entendues avec dignité par les Etats et associées pleinement à la construction de la paix et à la consolidation de la société.

Mesdames, Messieurs,

Partout où je vais à travers le monde, la parole des survivantes se libère à l’image de celle de Nadia Murad, ma co-lauréate du prix Nobel de la Paix, et leurs témoignages constituent des preuves vivantes. Nous ne pouvons pas rester indifférents à leurs cris. En parallèle, le cadre normatif de la lutte contre les violences sexuelles n’a cessé de s’enrichir depuis 20 ans. Les preuves sont là. Les textes sont là. Qu’attend la communauté humaine pour rendre justice aux victimes?

Nous exhortons les décideurs et les responsables ici présents à adopter cette nouvelle résolution et ainsi faire preuve de courage et de volonté politique pour combler le fossé existant entre le droit et la pratique et contribuer à la construction d’un monde meilleur débarrassé des violences sexuelles en période de conflit.

Je vous remercie.

Dr Denis Mukwege

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