UN AN APRÈS LA CÉRÉMONIE D’OSLO, LE 1er PRIX NOBEL CONGOLAIS DE l’HISTOIRE PRÉSENTE LE BILAN D’UNE ANNÉE DE PLAIDOYER

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10 Déc
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UN AN APRÈS LA CÉRÉMONIE D’OSLO, LE 1er PRIX NOBEL CONGOLAIS DE l’HISTOIRE PRÉSENTE LE BILAN D’UNE ANNÉE DE PLAIDOYER

Depuis le 10 décembre 2018, date à laquelle le Prix Nobel de la Paix nous a été décerné à Oslo avec Madame Nadia Murad, nous avons sillonné de monde dans le cadre d’une campagne mondiale pour les droits humains de la femme, la justice et la paix.

Nous avons assisté à une prise de conscience globale de l’existence et de la gravité de l’utilisation des violences sexuelles comme arme de guerre et comme stratégie de domination et de terreur, voire même d’extermination.

Cette reconnaissance est cruciale car pour s’attaquer à un problème, il doit d’abord et avant tout être reconnu. Ce n’était pas le cas dans le passé, et c’est donc un changement significatif.

Au niveau global, nous notons avec satisfaction plusieurs évolutions.

En premier lieu, le Fonds Mondial pour les Survivantes a été officiellement lancé le 30 octobre à New York.

Cela faisait 10 ans que nous plaidions aux niveaux national et international pour obtenir des réparations pour les victimes de violences sexuelles, sans recevoir suffisamment d’attention.

Depuis le prix Nobel, nous avons reçu beaucoup plus de soutien de la part de plusieurs États, dont la France et l’Allemagne, ainsi que de la part de l’Union européenne, qui se sont déjà engagés à nous accompagner dans la restauration de la dignité des survivantes.

Ce mécanisme novateur, centré sur les survivantes et leurs besoins, visera à combler les lacunes actuelles de la justice domestique et internationale, et consistera en un Fonds qui octroiera des réparations par le biais de programmes et de projets de réhabilitation et de réinsertion individuelle et collective dans les pays qui nient leur responsabilité ou qui ont besoin de soutien pour les assumer par le biais de l’assistance technique et/ou financière.

En deuxième lieu, le sommet du G7 à Biarritz en août dernier a mis l’accent sur l’égalité des sexes et la violence sexuelle dans les conflits, et j’ai eu l’honneur de co-présider le Conseil Consultatif pour l’égalité femmes-hommes.

Avec diverses personnalités engagées dans les droits humains des femmes, nous avons identifié 79 mesures législatives progressistes adoptées par des législateurs issus de tous les continents, et nous avons proposé un bouquet législatif orienté sur 4 axes, visant à :

  • Mettre fin à la violence basée sur le genre ;
  • Assurer le droit à l’éducation et à la santé pour tous;
  • Promouvoir l’autonomisation économique ; et enfin
  • Assurer l’égalité complète entre les femmes et les hommes dans les politiques publiques.

Les Chefs d’Etat et de gouvernement se sont engagés à Biarritz à mettre en œuvre nos recommandations, notamment en intégrant dans leur système national au moins une loi progressiste relative aux droits des femmes d’ici le prochain G7 et en supprimant celles qui les discriminent.

Il s’agit aussi d’une importante avancée au niveau d’un sommet entre puissances qui autrefois s’occupait exclusivement de questions économiques et financières, et qui reconnaît aujourd’hui qu’on ne pourra pas construire un monde prospère ni sûr sans respecter les droits de la femme et bénéficier de leur pleine inclusion et de leur plus-value.

Nous pouvons donc reconnaître aujourd’hui que notre lutte pour la dignité des femmes est à l’ordre du jour de la communauté internationale, et que la question des violences sexuelles en temps de conflit gagne enfin en visibilité auprès des responsables politiques et des décideurs.

En troisième lieu, l’adoption de la résolution 2467 du Conseil de Sécurité des Nations Unies a mis l’accent sur le besoin de reconnaissance et de prise en charge des enfants nés du viol, d’adopter une approche centrée sur les victimes, et aussi de renforcer les mécanismes de sanctions contres les auteurs et instigateurs de la violence.

En quatrième lieu, la mise en place d’un Réseau Mondial de Survivantes s’est consolidé dans un contexte où de plus en plus de femmes rompent le silence et dénoncent le viol, la violence sexuelle et les abus.

Cela revêt une grande importance, car la honte devrait peser davantage sur les épaules des auteurs. Il est crucial de briser le silence, cette arme absolue utilisée par les bourreaux, qui a trop longtemps prévalu en matière de violence sexuelle, en temps de guerre mais aussi en temps de paix.

Nous espérons que cela permettra de contribuer à mettre fin au climat d’impunité qui prévaut depuis trop longtemps en matière de crimes sexuels.

Cela est fondamental car la justice est un outil important à la fois pour prévenir les violences sexuelles mais aussi pour parachever le long processus de guérison des victimes.

Enfin, le 1er Congrès de la Chaire Internationale Mukwege s’est tenu à l’Université de Liège cet automne et a rassemblé des chercheurs et professeurs venus du monde entier pour partager leur expérience et leur expertise sur les réponses à apporter pour améliorer la prise en charge des survivantes de violences sexuelles en période de conflit et contribuer à ce que l’assistance holistique dont les victimes ont besoin soit reconnue comme un droit humain à la réhabilitation.

Ces progrès reflètent une nouvelle dynamique qui consacre une rupture par rapport à l’indifférence et qui nous donnent l’espoir et la force pour poursuivre notre lutte et pour rendre notre monde meilleur.

Au niveau de la République Démocratique du Congo (RDC), nous n’avons pas encore observé les dividendes du Prix Nobel de la Paix.

La situation sécuritaire se dégrade dans l’Est du pays, en Ituri, dans les Kivus mais aussi au Maniema. Les massacres se poursuivent chaque jour comme de simples faits divers.

Face à ce scandale permanent, nous lançons deux appels aux autorités congolaises et à la communauté internationale pour avancer sur le chemin de la paix au cœur de l’Afrique :

  1. La nécessité d’un commerce transparent et responsable des minerais de l’Est du Congo. Nous appelons de nos vœux l’adoption de mécanismes permettant une traçabilité complète des lieux d’extraction dans les mines de l’Est du Congo jusqu’au produit fini acheté par les consommateurs dans les magasins du monde entier. C’est seulement dans ces conditions que la globalisation de l’économie pourra aller de pair avec l’universalité des droits humains et que nous pourrons enfin transformer les minerais de sang en minerais pour le développement endogène du Congo.
  2. La mise en œuvre des recommandations du rapport Mapping du Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’Homme sur les graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises en RDC entre 93 et 2003. On ne pourra enrayer les cycles de violence et construire la paix en RDC sur des fosses communes et sur un déni de vérité et de justice. Telle est la raison pour laquelle nous appelons les autorités congolaises et la communauté internationale à se mobiliser pour exploiter les recommandations du rapport Mapping et d’utiliser tous les mécanismes de la justice transitionnelle préconisés depuis 2010 : établissement d’un Tribunal pénal international pour la RDC et/ou de chambres spécialisées mixtes, d’une Commission de la vérité, de programmes de réparation et de garanties de non-répétition, telles qu’un assainissement de nos institutions et une profonde réforme du secteur de la sécurité et de la justice.

Nous poursuivrons donc notre plaidoyer pour répondre à ces deux enjeux – un commerce propre des minerais et le recours aux outils de la justice transitionnelle – car ils constituent les prérequis indispensables pour construire une paix durable en RD Congo et dans la région des Grands Lacs.

Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018

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