Discours du Dr. Denis Mukwege à la Haye

Discours du Docteur Denis Mukwege à l’occasion de la
3ème Conférence mondiale des
Maisons d’hébergement pour les femmes victimes de violence
La Haye – 5 novembre 2015

Chère Madame Femke Halsema,
Chers membres du comité Directeur de la Fondation Women’s Shelter, (Aleid Van Den Brink, Marjo Septer, Jan Laurier, Ed Worm…)

Distingués invités,
Mesdames, Messieurs, chacun à vos titres et qualités, C’est avec un sentiment de gratitude que je me présente devant vous car cette Conférence témoigne d’une mobilisation globale d’acteurs déterminés à agir pour mettre fin aux violences faites aux femmes.
Il y a urgence à agir et la mobilisation autour de ce Forum Mondial représente une source d’espoir pour un avenir meilleur pour notre humanité.

Aujourd’hui, il est question de solidarité. Nous devons reconnaître que dans chaque coin du monde des femmes et des filles ont besoin d’un toit, un lieu où s’abriter de la violence, de la pauvreté, du fléau de la corruption.

En 2015, la recrudescence des violences faites aux femmes, quelles que soient leurs types, constituent un recul révoltant de notre civilisation, et une régression de l’un des plus grands progrès du XXe siècle, où les femmes se sont soulevées de par le monde pour recouvrer leurs droits, souvent avec succès, modifiant le paradigme de la soumission et de la domination masculine pour tendre vers l’égalité des sexes.

Vous êtes ces femmes et ces hommes qui croient que les pratiques misogynes et machistes typiques des sociétés patriarcales doivent cesser immédiatement et sans aucune forme de négociation.
Vous êtes ces hommes et ces femmes engagés dans un projet innovant œuvrant pour la sécurité des femmes avec la campagne « Agir avec le cœur », et j’ai le plaisir de m’y joindre.

Mesdames et Messieurs,

Les violences que nous observons en temps de guerre sont le résultat de l’exacerbation des discriminations et de violences existants dans la société en période de paix, au sein des communautés. Et lorsque l’état de droit est en faillite et que la guerre éclate, quand il n’y a plus ni loi ni foi, le démon machiste s’exprime dans toutes ses formes comme on l’observe aujourd’hui avec effroi dans tous les conflits.

Au mépris des principes élémentaires du droit international humanitaire, les femmes et les enfants sont devenus de plus en plus les cibles des combattants pour désorganiser les communautés adverses et les assujettir. En Bosnie, au Rwanda et au Soudan, le viol a été utilisé comme une technique de nettoyage ethnique. Au Nigeria, en Irak, en Syrie, la vente des femmes sur des marchés d’esclaves fait la honte de la communauté internationale et nous interpelle.

Mesdames et Messieurs,

Quel recul au XXIe siècle vers la triste mémoire de l’esclavagisme et de la traite des êtres humains ! Les viols et les violences sexuelles sont utilisés comme une arme de guerre, plus qu’une arme de guerre : une stratégie de guerre.
En RD Congo, mon pays, le viol utilisé comme stratégie de guerre se caractérise par le fait qu’il est massif, il est méthodique et, systématique.

Mesdames et Messieurs,

Ces actes produisent les mêmes effets que les armes classiques, à savoir le déplacement massif de la population qui recherche la sécurité et l’anonymat, la réduction démographique par la transmission des infections sexuellement transmissibles (IST) et du VIH/SIDA, et la destruction de l’appareil génital de la femme et des enfants par différents objets introduits au niveau de l’appareil génital rendant leur maternité hypothétique.

Ces actes barbares portant atteinte à l’intégrité physique des victimes s’accompagnent de la destruction de la capacité économique des populations ciblées par la destruction des récoltes et le pillage des ressources naturelles.

Dans ce contexte l’existence même du tissu social est menacée par ces actes d’humiliations faisant perdre l’identité individuelle et communautaire, avec perte de cohésion sociale. Et les impacts de ces violences se transmettent aux générations futures, avec des conséquences avec retardement. Les enfants nés du viol sans lien de filiation complètent ce tableau de destruction du tissu social.

Mesdames et Messieurs,

Ces femmes et ces enfants sont accueillis à l’Hôpital de Panzi, où nous assurons une prise en charge holistique sur base de quatre piliers : (1) médical, (2) psychologique, (3) socio-économique et (4) juridique.
Les soins physiques consistent en premier lieu par des efforts de prévention : si la victime est prise en charge endéans les 72 heures, un kit PEP (prophylaxie post-exposition) est administré. Après 72h, nous assurons le traitement des IST, ainsi que la prise en charge des patients atteints de VIH/SIDA, et nous apportons la meilleure réponse chirurgicale possible pour réparer les organes génitaux et les fistules.

Au même moment, la prise en charge psychologique est dispensée, et constitue une phase importante des soins prodigués aux victimes.
Lorsque les patientes se portent mieux sur le plan physique et psychologique, nous les transférons à la « Cité de la Joie » et à la maison d’accueil et de transit « Dorcas », qui poursuivent la réhabilitation des survivantes avec l’encadrement psychologique et le renforcement des capacités visant à l’autonomisation des femmes sur le plan social, économique et politique.

Mesdames et Messieurs,

A la Cité de la Joie, des jeunes femmes âgées de 15 à 25 ans sont accueillies pour une période de six mois. Dans une atmosphère chaleureuse et communautaire, les participantes suivent différents programmes et activités visant la dé-traumatisation : prise de parole en public, apprentissage du fonctionnement du corps, des outils de communication moderne comme l’informatique et l’anglais, ou d’autres activités visant à permettre aux femmes victimes de regagner la confiance en elles, telles que l’ergothérapie par la danse, le self-défense, etc.

Mesdames et Messieurs,

A la Maison Dorcas, les femmes et leurs dépendants sont hébergées pour une durée indéterminée – en moyenne 3 mois, en fonction de leur traumatisme et leur situation personnelle et familiale. Nous leur offrons des cours d’alphabétisation, des formations d’apprentissage de métiers divers comme la vannerie, la savonnerie, la coupe et couture, etc. Nous couvrons les frais de scolarité des enfants qui ont été victimes directement ou indirectement. Nos bénéficiaires sont également insérées dans des programmes de micro-crédits pour exercer des activités commerciales.

Enfin, notre programme « Un toit pour les survivantes » offre aux femmes l’occasion de se construire leur propre toit. J’ai le plaisir de partager avec vous le témoignage d’une de mes anciennes patientes Espérance, je cite : « Aujourd’hui, je ne suis plus la risée des voisins, je m’habille et nourris mes enfants du petit commerce reçu de Dorcas Rurale, mes enfants étudient, je n’ai plus de chocs psychologiques…, et j’habite une maison décente, j’ai récupéré ma dignité ».

Pour compléter notre prise en charge et restaurer complètement la dignité des patientes, la clinique juridique de Panzi offre aux femmes qui le désirent et qui le demandent l’assistance légale, qui comprend la constitution du dossier, les frais de représentation et d’accompagnement tout au long de la procédure par les avocats de la clinique juridique.

L’objectif principal étant de transformer la souffrance en force, en pouvoir et d’outiller  les bénéficiaires pour développer leur capacité à devenir autonomes à leur sortie. Cette prise en charge holistique aide les femmes à reprendre confiance et l’estime d’elles-mêmes. De plus, nous constatons avec satisfaction que beaucoup de femmes, après quelques semaines ou mois de traitement, d’accompagnement et de renforcement de capacités, deviennent de véritables activistes des droits de la femme, protégeant non seulement leurs droits, mais aussi ceux de leurs enfants et de leurs communautés, faisant d’elles des leaders dans leur milieu.

Mesdames et Messieurs,

Mais nous ne pouvons pas nous limiter à réparer les conséquences de ces atrocités et de la bêtise humaine, nous devons nous attaquer à leurs causes.
Le viol est une arme aussi dévastatrice que les autres armes de destruction massive et doit être éradiquée. Pourquoi n’y a-t-il pas de ligne rouge tracée contre l’utilisation du viol comme arme de guerre alors que la communauté Internationale s’est mobilisée et l’a fait contre les armes nucléaires, chimiques ou biologiques ?

Avec notre volonté, tous ensemble, nous pouvons faire tracer cette ligne  à ne pas franchir, contre le viol avec violence en période de conflits.
Tant que l’impunité sera tolérée et qu’il n’y aura pas de redevabilité, le cycle de violence ne s’arrêtera pas.

Il faut combler le fossé existant entre les lois et les conventions et leur mise en œuvre, car la justice est l’un des outils les plus efficaces pour garantir la non répétition des crimes à caractère sexuel. Nous devons enfin changer et faire évoluer les mentalités et les rapports de pouvoir, de domination et de soumission existant au sein des structures sociales axées sur l’inégalité des sexes et des rôles sociaux.

Mesdames et Messieurs,

Ensemble, décideurs politiques, acteurs de la société civile, hommes et femmes, nous pouvons briser le silence et l’indifférence, décider de notre survie et retrouver notre humanité, car la lutte contre les violences sexuelles n’est pas qu’un enjeu des femmes, c’est un combat pour la société toute entière que nous devons mener dans un esprit de respect mutuel et de solidarité, dans l’intérêt de tous.

Je vous remercie pour votre attention.

Dr. Denis Mukwege
La Haye, 5 novembre 2015

 

Une réflexion au sujet de « Discours du Dr. Denis Mukwege à la Haye »

  1. Bonjour Docteur Mukwege ,

    Merci pour tout ce que vous faites ,Que Dieu multiplie vos forces ,vous assistes vous protège bénisse votre travail ainsi que les femmes que vous soigner.
    Que ces terribles actions sur les femmes soit arrèter dans votre beau pays .

    jean riff

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